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Vieille laïcité et nouveau citoyennisme musulman

Il y a trois ans, Jacques Chirac a été élu président avec plus de 80% des voix. Lorsqu’il invoque la « République », les « valeurs françaises de la démocratie et de la laïcité » il essaie d’utiliser le nationalisme comme un ciment entre les différentes classes sociales - et il faut reconnaître qu’il s’agit d’un gadget politique assez efficace.

Article mis en ligne le 1er mai 2017

Le nationalisme représente un élément politique important de la Révolution française (attaquée par le plupart des monarchies européennes), de la Commune de Paris (réaction à l’occupation prussienne) et de la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale (contre l’occupant « boche »), nationalisme partagé par toutes les tendances de gauche et même certaines organisations d’extrême gauche encore aujourd’hui. Le Parti communiste française durant la Seconde Guerre mondiale prétendait être le « Parti de Jeanne d’Arc » - personnage historique qui est aussi une icône de l’extrême droite. Le Front national organise d’ailleurs chaque année une manifestation spéciale pour célébrer le sacrifice de cette femme qui a « dirigé le combat contre l’invasion étrangère » - et tout le monde comprend ce que Le Pen entend par les envahisseurs modernes...

Les révolutionnaires doivent dénoncer cette propagande abstraite en faveur de la « république », de la « défense de la laïcité », de la « nation », de l’ « exception française », et autres balivernes, parce que ces idées ne font qu’entretenir le nationalisme chez les ouvriers français dont une partie vote déjà à droite, voire à l’extrême droite, et a des comportements racistes. Cela ne signifie pas pour autant que les révolutionnaires sont indifférents aux droits démocratiques de base, mais la lutte pour préserver ou élargir ces droits doit être totalement séparée de la défense de l’Etat bourgeois.

Curieusement, aujourd’hui, une nouvelle forme de nationalisme laïc fait son apparition chez les jeunes Français musulmans.

Toutes sortes de jeunes hommes se tournent vers l’islam : la presse et la télévision s’intéressent surtout aux délinquants, aux prisonniers, aux toxicomanes ou aux jeunes qui ont des difficultés scolaires et se sentent rejetés par la société française et se tournent vers la religion musulmane. Mais, bien sûr, ceux-ci ne constituent qu’une minorité de ces jeunes : les jeunes musulmans sont d’abord et avant tout des adolescents en quête de leurs racines et qui respectent leurs traditions religieuses familiales. Quelles que soient leurs motivations individuelles, leur stricte observance des prescriptions religieuses les amène parfois à vouloir contrôler le comportement, l’habillement et la vie privée de leurs petites amies, de leurs mères, et de leurs sœurs, ainsi que des jeunes filles et femmes qui vivent dans les quartiers ouvriers, le tout au nom d’Allah. Ces jeunes mâles ont toutes sortes d’opinions politiques : anti-impérialistes (à sens unique, bien sûr, c’est-à-dire complaisantes vis-à-vis des dictateurs du Sud), djihadistes, républicaines, de gauche, de droite, etc. Mais la plupart d’entre eux, inspirés parfois par le discours de Tariq Ramadan, essayent de prendre l’idéologie citoyenno-républicaine de l’Etat français à son propre jeu.

En même temps, il se passe un autre phénomène intéressant : une minorité de jeunes femmes ayant une formation universitaire essaie d’inventer une nouvelle forme de version laïco-républicaine de l’islam. (On peut lire à ce propos L’une voilée, l’autre pas, pseudo-dialogue contradictoire entre deux musulmanes républicano-citoyennistes.) Elles veulent être respectées par leurs parents ou leurs frères, ainsi que par les institutions et le reste de la société française. Ces musulmanes utilisent certains hadiths pour lutter contre les idées traditionnelles et sexistes de leurs parents.

Le citoyennisme musulman français est une étrange forme de multiculturalisme. Ces musulmans et musulmanes veulent être les « meilleurs citoyens » et les « meilleurs musulmans », comme ils disent. Ils prétendent être fiers que leurs parents ou leurs grands-parents soient « morts pour la France », et en même temps ils dénoncent les guerres coloniales françaises. Ils oublient que, dans toutes ces guerres, les soldats « indigènes » étaient impliqués et ont pris le parti de l’impérialisme français. Ils oublient que la Première et la Seconde Guerre mondiales étaient des guerres impérialistes. En Indochine, par exemple, les soldats africains et nord-africains combattaient contre les Vietnamiens dans les rangs de l’armée française.

Ils estiment tellement le drapeau français que les seules manifestations où l’on peut encore apercevoir une (petite) marée tricolore sont les manifs du Front national... ou celles des musulmans, qu’ils soient islamistes ou « citoyennistes ». Ces courants politiques ont inventé une nouvelle définition de la laïcité française, très différente de son sens initial : aujourd’hui, on nous présente la laïcité comme la meilleure façon pour différentes religions de vivre harmonieusement ensemble. Le Coran est considéré comme une source d’inspiration pour les droits de l’homme, les droits des femmes, l’écologie, le commerce éthique et la démocratie.

Certains accusent ces nouveaux laïcs musulmans d’être des islamistes déguisés, des admirateurs de Khomeyni, etc. (C’est peut-être le cas d’une infime minorité, mais dans ce cas ils ne réussiront jamais à conquérir un espace politique significatif.) Cette idéologie essaie d’adapter le multiculturalisme à la société française (l’utilisation systématique de termes comme « déconstruire » et « déconstruction » dans leurs écrits est tout à fait significative).

Cette forme de multiculturalisme a certainement un avenir politique plus sérieux que telle ou telle forme française de djihadisme. Et il est important que les révolutionnaires qui dénoncent cette forme spécifique de multiculturalisme sachent qu’il s’agit en fait d’un nationalisme confus aux accents anti-impérialistes (à sens unique, c’est-à-dire toujours anti-américain mais jamais sérieusement hostile à l’impérialisme européen ou à l’impérialisme français), idéologie qui convient parfaitement aux staliniens mal repentis du PCF ou aux altermondialistes.

Il est essentiel que les révolutionnaires mettent en valeur leurs propres idées sur la laïcité, la religion, l’athéisme, l’impérialisme aujourd’hui plutôt que de seulement rappeler les vertus des Lumières du XVIIIe siècle et de la laïcité républicaine bourgeoise du XIXe siècle. Il est vital de rappeler l’importance des classes sociales à des gens qui parlent seulement de questions d’identité comme si la lutte de classe avait cessé d’exister.

(Y.C., Ni patrie ni frontières n° 8-9, mai 2004)