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Jean Jaurès : Les deux méthodes
Article mis en ligne le 30 avril 2017
dernière modification le 25 mai 2017

Les deux méthodes

Ce célèbre débat entre Jaurès et Guesde s’est tenu peu de temps après le déclenchement de l’Affaire Dreyfus, durant laquelle certains anarchistes se montrèrent nettement plus courageux et clairvoyants que les pseudo-marxistes « orthodoxes » à la Jules Guesde.

Mais l’intérêt du discours de Jaurès est ailleurs : il montre comment les sociaux-démocrates savent enrober de belles phrases ronflantes leur capitulation devant la bourgeoisie, au nom de la défense de la démocratie ou de la République, menacée (à la fin du XIXe siècle !) par le « retour du féodalisme » ou de l’Eglise au pouvoir, par le fascisme dans les années 1920-1940 et demain par de nouveaux périls réels ou imaginaires (rappelons-nous du vote Chirac en 2002, vote censé barrer la route au fasciste Le Pen, vote soutenu par une partie de l’extrême gauche et des anarchistes).
C’est ainsi que Jaurès, cohérent dans son réformisme viscéral, déclare : « nous soutenons un ministère contre les autres, plus mauvais, qui voudraient le remplacer ». Pour lui la classe ouvrière est la « tutrice des libertés bourgeoises » (comme si la bourgeoisie était trop immature pour juger de ce qui lui convient), elle doit « contrôler le mécanisme de la société bourgeoise » ! Il faut donc se fier au « bon sens révolutionnaire du peuple » (le « bon sens » est, comme on le sait, l’antichambre de toutes les platitudes) et les socialistes ne doivent pas hésiter à briguer le poste de maire, quitte à utiliser la police…pour la bonne cause !

Ce qu’il y a d’intéressant dans le plaidoyer de Jaurès, c’est qu’il prend à bras-le-corps toutes les objections qu’on pourrait lui opposer et y répond avec un cynisme inégalable tout en terminant son exposé par un vibrant « Je suis un révolutionnaire » ! Qu’on se le dise !

La social-démocratie (et en partie ses fractions dites « de gauche ») trouve toujours de bons arguments pour retarder indéfiniment l’affrontement avec l’État, conclure des alliances avec des partis bourgeois et participer à des gouvernements d’union nationale, de Front populaire, ou d’Union de la gauche. Et le fait que certains de ses dirigeants « de gauche » connaissent bien la rhétorique marxiste ne les rend que plus aptes à mystifier des travailleurs sincères et bien sûr tous les militants d’extrême gauche qui cherchent à s’attirer leurs bonnes grâces, qu’il s’agisse de l’inexistante « gauche socialiste » française ou des staliniens relookés de Rifondazione comunista en Italie

On notera que dans la longue polémique entre Guesde et Jaurès à propos de l’affaire Dreyfus, le mot « antisémitisme » n’est prononcé qu’une seule fois, quand Guesde rappelle le jugement de Liebknecht, dirigeant de la social-démocratie allemande, selon lequel Jaurès aurait « apporté de l’eau au moulin de l’antisémitisme ». Souvent entendu dans la bouche de militants d’extrême gauche aujourd’hui quand on leur demande s’ils s’inquiètent de l’antisémitisme actuel en France, cet argument circulait déjà il y a un siècle pour justifier une « neutralité » irresponsable dans l’Affaire Dreyfus. Rien ne se perd, rien ne se crée, la veulerie politique se transforme… (Y.C)