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Ernest Mandel : Projet de thèses sur la question juive après la Seconde Guerre impérialiste (1947)
Article mis en ligne le 12 octobre 2023

(Ce texte a été écrit il y a plus de soixante-dix ans, avant la création de l’État d’Israël, par l’un des plus prolifiques théoriciens du trotskysme. En 1947 les trotskystes (comme une grande partie des autres courants marxistes) raisonnaient encore dans la perspective d’une crise internationale du capitalisme qui avait commencé pour eux en 1929 (voire en 1914) et ne devait pas s’arrêter : d’où des termes comme « pourrissement », « agonie », « décadent », « décomposition », « putréfaction », « barbarie », ainsi que le curieux pronostic de l’avènement du fascisme aux Etats-Unis ( !) repris des écrits de Trotsky durant les années 1939-1940 ; les trotskystes vivaient aussi dans la perspective d’une nouvelle guerre mondiale imminente : c’est d’ailleurs pourquoi les proches d’Ernest Mandel et de Michel Pablo (ceux du Secrétariat unifié de la Quatrième Internationale) rentrèrent en bloc dans les partis communistes au début des années 1950 pour y pratiquer l’ »entrisme » pendant près de quinze ans.
Bien qu’il date sur de nombreux points, ce texte témoigne d’une grande lucidité quant à l’impasse que représente le sionisme et à l’analyse des enjeux stratégiques et géopolitiques au Proche et au Moyen-Orient. L’auteur est parfaitement lucide lorsqu’il affirme que l’union générale entre travailleurs juifs et arabes est pour le moment irréalisable — et malheureusement la situation n’a fait qu’empirer. On remarquera que le terrorisme des groupes Stern ou de l’Irgoun auquel Mandel fait allusion a été efficacement remplacé par le terrorisme d’État des gouvernements israéliens successifs, et notamment de l’actuel gouvernement Sharon.
Raisonnant dans le cadre d’une hypothétique « révolution nationale-démocratique arabe », l’analyse de Mandel a été totalement démentie sur un point : le panarabisme n’a jamais pu se concrétiser et il est improbable qu’il puisse jamais unifier la mythique « nation » arabe.
Enfin, comme dans presque tous les textes marxistes sur l’historique de la « question juive », l’auteur n’utilise aucune statistique, aucun chiffre pour appuyer l’hypothèse selon laquelle le peuple juif aurait été un peuple constitué majoritairement de commerçants pendant des siècles. Aujourd’hui, d’ailleurs, plusieurs historiens remettent en cause cette légende (cf. l’article de Lars Fischer https://npnf.eu/spip.php?article956 et l’interview de Julie Mell, par exemple https://npnf.eu/spip.php?article985 traduits par nos soins). Bien sûr, il ne s’agit pas d’antisémitisme (rappelons que Ernest Mandel, comme bien d’autres trotskystes juifs ou non juifs, fut déporté pendant la Seconde Guerre mondiale, qu’il s’évada plusieurs fois et qu’il ne survécut que par miracle et grâce à son courage inébranlable), mais tout simplement du refus de penser une question difficile et épineuse pour l’orthodoxie marxiste.
Pour les marxistes de l’époque (et Mandel avait pourtant connu les camps) l’Holocauste était un événement parmi d’autres de la barbarie capitaliste, mais il n’avait aucune signification historique spécifique. Aujourd’hui, cette cécité se poursuit imperturbablement chez la plupart des marxistes et des groupes d’extrême gauche…. Yves Coleman )